Commençons par adresser nos félicitations aux responsables des juntes [du Mali, du Burkina Faso et du Niger] dans l’espace ouest-africain. Oui, l’humilité commande de s’incliner devant leur réussite plutôt évidente.

Oui, à défaut de l’emporter sur le front de la lutte contre l’insécurité et celui de la restauration de la démocratie, ils ont usé d’une stratégie de chantage qui se révèle aujourd’hui payante. Au point qu’ils sont partis pour achever la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao). En effet, les conclusions du dernier sommet de cette instance, [le 7 juillet] à Abuja, ont révélé au grand jour le fait que le rapport de force s’était inversé.

La Cedeao ne tonne plus, elle n’exige plus rien, elle ne dicte plus la marche à suivre. Traumatisée par la perspective – il est vrai préoccupante – du départ des États de l’AES [l’Alliance des États du Sahel, une organisation de défense mutuelle créée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso le 16 septembre 2023], elle range ses principes, rentre ses griffes et se met au service des juntes.

Voilà où nous en sommes avec une organisation qui, il y a un an, promettait de sévir contre la gangrène des putschs. Que c’est dommage !

La confiance béate des militaires mutins

C’est d’autant plus dommage que l’on imagine à peine le message implicite d’une telle reculade. Et ce message, il se ramène à ceci :

“Aspirants aux coups d’État de tous les pays, allez-y ! C’est quand vous voulez ! N’ayez surtout aucune crainte !”

Que l’on ne s’étonne pas alors, si, dans un an, à l’occasion du prochain sommet de la Cedeao, les participants coiffés d’un béret sont plus nombreux autour de la table. Parce qu’en réalité les conclusions du dernier sommet ne sont ni plus ni moins qu’un encouragement lancé à tous ceux qui voudraient s’emparer du pouvoir par la voie des armes.

Bien sûr, comme c’est souvent le cas, les militaires qui trônent aujourd’hui à la tête de nos États ne perçoivent pas ce risque-là. Parce qu’une fois au pouvoir, porté par une certaine confiance, on n’envisage plus les risques.

Si, en plus, on est militaire, on se croit toujours préparé à faire face à ce type de danger. Mais combien de dirigeants ont été perdus par cette confiance béate inspirée quelquefois par des charlatans et autres joueuses de cauris ?

Attaques, condamnations et moqueries

Mais comment la Cedeao est-elle tombée si bas ? Comme beaucoup, les dirigeants ont été pris dans la nasse d’une subtile mais savante manipulation tout aussi populiste que bruyante. D’autant plus bruyante qu’elle s’est servie des réseaux sociaux.

Les choses ont commencé par une attaque en règle contre les sanctions prises par la Cedeao envers des pays ayant enregistré des coups d’État. Bien sûr, quelques-unes de ces sanctions étaient peut-être disproportionnées, voire illégales dans certains cas. Mais, de là à les flétrir toutes, il y avait un pas que certains n’ont pas hésité à franchir. Facilitée par d’évidentes bourdes de la part du président Macron [qui avait tant bien que mal défendu une position de fermeté face aux putschistes] – touché dans son orgueil –, dans le cas du Niger en particulier, la mayonnaise a alors vite pris.

De partout s’élevaient des attaques, des condamnations et des moqueries contre la Cedeao, décrite comme un appendice de la France néocoloniale. Au point que même des intellectuels de renom ont commencé à reprendre à leur compte le discours contre le “tout sanctions”. Des intellectuels se lestant de la lucidité qui aurait pu pourtant leur rappeler que toutes les organisations reposent sur des règles dont la violation entraîne naturellement des sanctions. Y compris l’AES en gestation.

Dans un contexte de propagande tous azimuts, cette nuance-là a manqué. Et elle a manqué parce que beaucoup n’ont pas eu le courage de faire face à la vindicte populaire.

Un efficace chantage à la désintégration

Et pendant que cette campagne opérait et désactivait la Cedeao, Assimi Goïta [le président de la transition au Mali], Ibrahim Traoré [le président du Burkina Faso] et finalement Abdourahamane Tchiani [président de la transition au Niger] surfaient dessus. C’est ainsi qu’ils en sont arrivés à cette décision de claquer la porte de la Cedeao.

La crise préélectorale sénégalaise et son issue consacrant la victoire du camp Sonko y ont aussi contribué. En cela, [l’ancien président sénégalais] Macky Sall aussi porte une part de responsabilité dans la déchéance de l’organisation que pilote Bola Tinubu [après le coup d’État au Niger, en juillet 2023, Macky Sall avait plaidé pour le déploiement de la force en attente de l’organisation ouest-africaine pour la restauration de l’ordre constitutionnel].

Et, depuis, c’est la panique dans le navire de l’organisation sous-régionale. Personne n’ose plus rappeler les principes. Tout est fait pour contenter le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Parce que l’obsession est de garder le bloc régional uni.

En principe, c’est fort louable. Seulement, à quel prix ? Faut-il en effet sacrifier tous les acquis de la Cedeao pour faire plaisir à des dirigeants qui, convenons-en, ont violé les règles de fonctionnement de cette dernière ?

Que deviendrait la Cedeao si, lorsque vous avez accédé au pouvoir avec des armes, on ne peut pas vous contraindre à le restituer dans un délai “raisonnable” ? Est-on sûr que le salut de nos pays réside dans le bâillonnement de la presse et le musellement de toutes les libertés ?

La Guinée tire son épingle du jeu sahélien

De ce contexte sous-régional la Guinée profite intelligemment. En s’y prenant différemment néanmoins. Le général Doumbouya [arrivé au pouvoir par un coup d’État en septembre 2021] ne menace pas de partir de la Cedeao. Tout au contraire, conscient de l’effet que cela ferait, par la voix de son chef de la diplomatie, il appelle à ne pas désintégrer l’organisation.

Et bien sûr, Bola Tinubu et ses homologues, qui n’espéraient pas mieux, applaudissent des deux mains. En retour, ils disent au président de la transition : “Vas-y à ton rythme et selon tes convenances ! En tous les cas, rien ne presse !”